PIANOS ESTHER

La plus ancienne maison de pianos de Wallonie

 


Vienne, 13 décembre 1839



La saison d’hiver s’annonce d’une façon merveilleuse. Nous vous avons écrit quelque chose des triomphes de Liszt, et de la profonde sensation qu’il a produite dans le monde musical ; nous vous avons dit aussi toutes les émotions qui ont entouré le Paulus, ce merveilleux oratorio du jeune et grand maître Mendelssohn ; maintenant, pour comble de bonheur, voici que l’autre jour entrait à Vienne une jeune et très belle personne, pâle et fatiguée, moins encore par la longueur de la route que par ses luttes étranges avec les orchestres formidables de Leipzig et de Dresde. Cette jeune femme, d’une idéale figure, dont la France n’a pas entendu parler depuis cinq ans, ce n’est rien moins que madame Pleyel, grandie encore et perfectionnée par l’étude, par l’exil et par le malheur, qui sont trois grands maîtres pour les belles et grandes natures comme est celle-là. A peine était-elle à Vienne et fort indécise pour savoir si elle se ferait entendre dans cette ville où Liszt était le maître tout puissant, que madame Pleyel vit entrer chez elle Liszt en personne, qui venait, comme un homme de génie qu’il est en effet, pour partager sa gloire et ses triomphes avec son jeune et charmant confrère. Qui fut bien touché de ce noble empressement, de cette hospitalité illustre, on peut le dire : ce fut madame Pleyel. Elle accepta avec empressement le patronage de son excellent frère en poésie, et trois jours après hier même, 12 décembre, nous les avons vus entrer l’un et l’autre dans la vaste salle des concerts, toute remplie de la plus grande et de la plus belle société de Vienne. Ça été, comme vous pouvez le croire, un applaudissement unanime et furieux, lorsque Liszt a présenté cet autre grand artiste à son public ; de son côté, madame Pleyel s’est montrée tout à fait digne de son interlocuteur ; elle a joué avec cette passion nette et bien contenue, qui est une grande partie de sa puissance, ses deux premiers morceaux, après lesquels le public l’a redemandée à grands cris. Mais lorsqu’enfin elle a abordé avec une ardeur et une mélancolie incroyables le Morceau de Salon, ce beau concerto de Weber, rien ne saurait donner l’idée des applaudissements et des éloges. A peine avait-elle achevé le morceau de Beethoven, qu’il a fallu le jouer une seconde fois. Alors Liszt l’a prise par la main ; il l’a conduite de nouveau à son piano, aussi heureux et aussi fier que s’il se fût agi de son propre triomphe. Ne trouvez-vous pas bien qu’il y a quelque chose de touchant dans cette fraternité spontanée de ces deux excellents artistes ? et n’est-ce pas la une des histoires les plus intéressantes de ce temps-ci : Liszt ouvrant les portes des salons de Vienne à madame Pleyel?



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